On me demande parfois :
« Mais comment tu fais pour partir d’un meuble ancien, finir sur WordPress, puis basculer sur des serres bio et les chiens d’assistance… dans la même phrase ? »
La réponse courte :
ma tête ne pense pas en ligne droite.
La réponse longue, c’est ce billet.
On m’a collé un terme assez technique : dyslexie avec hyperverbosité pragmatique associative.
Dit autrement : je lis et j’écris d’une façon un peu tordue, je parle beaucoup, et mon cerveau relie absolument tout à tout, en permanence.
Et comme je trouve ça utile de nommer les choses plutôt que de faire semblant d’être “comme tout le monde”, j’ai décidé d’expliquer ici ce que ça veut dire concrètement, dans ma vie, dans mes projets et dans mes textes.
Ce que ça veut dire, en dehors du jargon
Dyslexie :
ce n’est pas “je ne sais pas lire”. C’est surtout que mon cerveau traite les mots et les phrases autrement.
- Je peux lire vite… mais parfois je “reconstruis” la phrase dans ma tête, et elle n’est plus tout à fait celle qui est écrite.
- Quand j’écris, je saute des mots, j’inverse des bouts de phrase, je colle tout ça avec de la logique interne qui n’est pas toujours visible pour le lecteur.
- Les fautes ne viennent pas d’un manque de sérieux : mon cerveau m’affiche la phrase comme correcte, même quand elle ne l’est pas.
Hyperverbosité pragmatique associative :
c’est le super bonus.
- Hyperverbosité : quand je commence à expliquer quelque chose, je ne donne pas juste la réponse, je donne tout le contexte, les chemins qui y mènent, les exceptions, les ramifications… Et souvent, tout ça est pertinent, dans ma tête.
- Pragmatique : ce n’est pas du bavardage vide. Je parle beaucoup, oui, mais pour arriver à quelque chose de concret : une idée, un plan, un lien entre deux mondes.
- Associative : chaque idée en déclenche trois autres. Une anecdote fait remonter un souvenir, qui rappelle un projet, qui renvoie à une personne, qui mène à un article, etc. Ce n’est pas un train, c’est un réseau de tramways qui se croisent.
Résultat :
une simple question peut déclencher un feu d’artifice de réponses, parfois très utiles, parfois complètement à côté pour quelqu’un qui attendait juste “oui” ou “non”.
À quoi ça ressemble dans la vraie vie
Quelques exemples très concrets :
- Dans une conversation : tu me poses une question simple, et je peux partir sur trois histoires, deux références historiques, un schéma WordPress et une anecdote de terrain. Pas pour fuir le sujet, mais parce que tout est connecté dans ma tête.
- Dans un e-mail ou un texte : je peux t’envoyer un pavé de 2 000 mots alors que tu attendais un paragraphe. C’est pour ça que je travaille toujours avec des gens ou des outils qui m’aident à couper, résumer, clarifier.
- Dans les projets : je vois très vite les liens entre des univers différents : patrimoine, web, agriculture, social, logistique, financement… C’est hyper puissant pour imaginer un projet comme le Manoir Michaud. Mais il faut ensuite traduire ça dans un langage lisible pour des élus, des investisseurs, des partenaires.
- Dans les mots que je répète : je peux accrocher sur un terme (un “mot-totem”), comme “gibberish”, et le ressortir plusieurs fois dans une discussion, parce qu’il remplit une case précise dans ma tête. Si je ne me surveille pas, ça peut devenir un tic de langage.
Pourquoi je travaille avec des relecteurs… et avec une IA
Non, je ne manque pas de confiance en moi.
Je sais juste comment ma tête fonctionne, et je compose avec.
Quand je dois produire un document “propre” :
- Je balance tout : idées, anecdotes, détails, connexions.
- Je laisse un outil (comme ChatGPT) ou une personne relire, découper, réorganiser, reformuler.
- Je reviens dessus : je corrige ce qui ne colle pas avec la réalité, j’ajoute des nuances, je remets un peu de “moi” là où c’est devenu trop neutre.
Ce n’est pas une faiblesse, c’est un processus.
Je ne suis pas l’auteur solitaire qui pond son texte parfait d’un seul jet.
Je suis celui qui arrive avec un sac à dos plein de pièces de Lego, et qui a besoin d’un plan de montage pour en faire quelque chose de stable.
Les forces qui viennent avec le “trouble”
On parle souvent des difficultés, moins des avantages. Pourtant, il y en a.
- Je vois des liens que d’autres ne voient pas : entre un audit d’amiante, un programme de stages agricoles, un vieux presbytère et un plugin WordPress… tout ça peut faire un seul projet cohérent dans ma tête.
- Je suis à l’aise dans la complexité : beaucoup d’acteurs, beaucoup de contraintes, beaucoup de documents ? Ça ne me fait pas peur, au contraire. Ma difficulté, ce n’est pas de gérer la complexité, c’est de la résumer.
- Je suis un générateur d’idées : donne-moi un sujet, je vais te sortir des variantes, des pistes, des détours auxquels tu n’avais pas pensé. Il faudra filtrer, oui, mais au moins il y a de la matière.
- Je comprends bien les gens qui “décrochent” du système : parce que moi aussi, en mode scolaire classique, je ne rentre pas dans les petites cases. Ça m’aide à accueillir des étudiants, des stagiaires, des visiteurs qui ne pensent pas “dans le moule”.
Les limites, soyons honnêtes
Tout n’est pas rose.
- La fatigue mentale : gérer ce flux d’idées en continu, ce n’est pas reposant. Il faut que je m’impose des vrais temps morts.
- La perception extérieure : je peux donner l’impression de “ne pas écouter”, alors qu’en réalité je suis déjà parti quatre coups plus loin dans la réflexion.
- Les malentendus écrits : un mail trop long peut être lu comme un reproche, un drama ou un manque de clarté, alors que pour moi c’est juste “toutes les infos utiles”.
- Les délais : structurer ma pensée pour qu’elle soit digeste pour les autres prend du temps. D’où l’importance de ne pas me demander des résumés de 3 lignes au dernier moment.
Comment travailler (bien) avec moi
Si tu lis ça parce que tu collabores avec moi, voilà quelques astuces :
- Pose des questions claires : plus ta question est précise, plus ma réponse aura une chance de le rester.
- Accepte les pavés… au brouillon : laisse-moi écrire long au départ, on coupera ensuite. C’est comme ça que je fonctionne le mieux.
- N’hésite pas à demander : “Tu peux me faire la version courte ?”
Je ne le prends pas mal, au contraire, ça m’aide. - Dis-moi ce dont tu as besoin (un plan, un texte, des idées, une critique, un schéma). Je peux tout donner d’un coup, mais si tu me dis “aujourd’hui, on ne fait que la structure”, je vais me concentrer là-dessus.
- Utilise mes forces : si tu as un projet un peu fou qui mélange plusieurs mondes, je suis dans mon élément.
Pourquoi j’en parle ici
Parce qu’on ne voit souvent que le résultat :
un texte structuré, un CV propre, un plan de projet, une page web.
Ce qu’on ne voit pas, c’est le vortex d’idées par lequel ça passe avant d’atterrir.
Et parce que je trouve important de normaliser le fait de dire :
« Voilà comment je fonctionne.
Ce n’est ni mieux ni pire, mais c’est différent.
Et voici comment on peut faire équipe avec ça. »
Si tu t’es reconnu dans certains bouts de ce texte, tu n’es peut-être pas seul à vivre avec une tête en constante “hyperverbosité pragmatique associative”.
Et si tu ne t’y reconnais pas du tout, eh bien tu sais maintenant pourquoi mes messages peuvent parfois ressembler à un énorme sac de pièces détachées… avant qu’on les assemble ensemble. 😉
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